Anonyme TCHETCHENE

Anonyme TCHETCHENE



Avant 1994, on ne connaissait guère les Tchétchènes, que les officiers russes appelaient « Français du Caucase » au XIXe siècle. Maître de son destin dès le XIVe siècle, ce peuple irréductible du Caucase, dont la religion prééminente est l’Islam sunnite depuis le XVIIe siècle, n’a jamais renoncé à sa liberté. Pas plus sous le joug des tsars que sous les bombes de Vladimir Poutine. Il n’est guère d’exemple dans l’Histoire, en dehors des Kurdes et des Palestiniens, d’une lutte si déterminée, si inégale et dans l’indifférence de la communauté internationale, contre l’oppression.

La Tchétchénie, peuplée de 1.500.000 habitants, est une république constitutive de la fédération de Russie, dans la partie nord du Caucase. Les Tchétchènes, écrit Pierre-Yves Baillet (in Orient XXI, 2022), se nomment dans leur langue « Naktchi », ce qui signifie « les nôtres ». Ils font partie des nombreux peuples du Caucase qu’un géographe arabe du Moyen-Âge baptisa « la montagne des langues ». Avec une quarantaine d’autres peuples, ils forment une communauté ethnique unique qui n’appartient pas aux groupes turcs, persans, sémitiques ou indo-européens. Ils commencent à s’islamiser vers la fin du VIIe siècle lors des conquêtes arabes. Ils sont en majorité musulmans sunnites d’obédience soufie. Au milieu du XVIIIe siècle, sous le règne de la tsarine Catherine II, que débute la conquête coloniale russe contre laquelle, tout au long du XIXe siècle, le Caucase va résister vigoureusement. Sous la conduite de l’imam Chamyl, les Tchétchènes et d’autres peuples caucasiens combattent sans répit les armées des tsars de Saint-Pétersbourg. Ces guerres sanglantes se concluent par la victoire de la Russie.

En 1943-1944, Staline accuse les Tchétchènes (et d’autres) d’avoir collaboré avec les forces nazies — alors que celles-ci n’ont jamais pu atteindre la Tchétchénie. Cette accusation servira de prétexte pour organiser de nouvelles déportations massives vers l’Asie centrale.

En 1991, Djokhar Doudaïev, un général de l’armée de l’air, devient président de la République tchétchène d’Itchkérie. Les Russes ne l’entendent pas ainsi et, dès lors, s’ensuivent deux guerres particulièrement sanglantes en 1994-1996 et 1999-2000, qui se soldent par la victoire de Moscou et le retour de la Tchétchénie sous domination russe. De déportations en massacres, cette république suppliciée n’a pu compter que sur elle-même. Selon les organisations non-gouvernementales, le nombre de civils qui ont péri pendant les deux guerres (1994-1996 et 1999-2000) qui opposèrent l’armée fédérale russe aux indépendantistes tchétchènes, est estimé entre 100.000 et 300.000 personnes, sur une population de 1.200.000 habitants.

Durant ces conflits, une partie de la population se radicalise et les islamistes gagnent en puissance, les wahhabites et autres mouvements fondamentalistes fournissant notamment des armes et de l’argent aux insurgés. Vaincue, une partie de l’opposition s’exile en Europe et au Proche-Orient. En 2007, Ramzan Kadyrov, fidèle de Vladimir Poutine, devient président du pays et le soumet d’une poigne de fer.

La tradition orale possède une grande influence en Tchétchénie. Les thèmes de la patrie, de la liberté et du deuil, sont récurrents. Le poème est le genre littéraire d’élection en Tchétchénie. « Nous sommes nés dans la nuit », est le plus célèbre poème, devenant même l’hymne national en 1990, comme cela fut le cas entre 1917 et 1919, lorsque les Tchétchènes se sont crus débarrassés de la domination russe.

 

NOUS SOMMES NÉS DANS LA NUIT

 

Nous sommes nés dans la nuit où la louve mettait bas ses petits,

au matin, on nous donna des noms, au rugissement du lion,

nos mères nous nourrissaient dans l'aire des aigles de la montagne,

nos pères nous apprenaient à dompter les taureaux.

 

Nos mères nous ont élevés pour le pays natal, pour la terre de nos pères :

au jour de l’épreuve, nous défendrons sans peur la patrie ;

nous avons été élevés avec les aigles de la montagne, libres,

nous avons surmonté les difficultés avec dignité.

 

Ce bloc de granit fondra d’un coup, comme du plomb,

Plutôt que nous perdions au combat la dignité humaine ;

La terre se fendra d’un coup sous l’ardeur du soleil,

Plutôt que nous tombions en terre, insensibles ;

 

Nous ne courberons jamais la tête devant personne,

Nous n’avons qu’une voie : la liberté ou la mort !

Nos sœurs cicatrisent nos blessures par leurs chants,

Nos bien aimées nous enflamment à repartir au combat.

 

Si la famine s’empare de nous, nous rongerons des racines d’arbres,

Si la soif nous attaque, nous nous abreuverons de rosée,

Nous sommes nés la nuit où la louve mettait bas ses petits,

Nous servirons le Seigneur, notre peuple et notre pays natal.

 

(Poème traduit du tchétchène par Bernard Outtier).

 

Karel HADEK

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE n° 15